
Catalogue Casanova Forever Été 2010
Édition Dilecta – FRAC Languedoc-Roussillon
Avec le soutien de la DRAC LR et de la Région Languedoc-Roussillon
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La Spesa : Ces repérages en immersion totale nous font des journées harassantes, tu ne trouves pas ? Que n’avons-nous pas perdu depuis notre rencontre ? déconstruit, égratigné de notre centralité d’être ?
Maurin : Un entraînement au voyage s’imposait si nous devions quitter une existence fruste mais familière pour l’intensité d’une exploration sauvage…Un effritement des frontières, une plate-forme de travail collaboratif : nous avons su nous délester du non-nécessaire, voilà tout !
On peut prendre la décision simple de n’être plus… comme on est par habitude, les enfants de ses parents, quoi ! Voyez comme la lumière change tout à coup, et le piqué de l’air… Partez, les prénommés, les familiers, ceux qui ne nous font pas rire ! ceux qui sont humiliés du peu et qui subissent le drame d’être nés… Patrick et Fabienne, Simone et Jean-Michel, laissez-nous à notre fin de toilettage, sérieusement, ça nous a pris du temps de nous désencombrer, et souvent il faut s’y reprendre à deux fois, l’infortune est une matière brute, et le machinal si enraciné ! La mue pour un plumage du renouveau ! Un bien fou ! Une légèreté avec ça…
On a envoyé se faire pendre les deux autres, pour une fois habillés de dimanche, eux et leur cortège des siècles derniers, du bois et des clous ! oui Monsieur, même que le cocher (c’était un employé municipal pas des plus futés), il savait même plus comment monter l’attelage… Le fait est qu’il n’y avait plus personne autour, à un moment, et qu’il a fallu que les deux autres (les morts) reviennent pousser et tirer leur carrosse, sous l’œil goguenard de chacun son corbeau, pour avoir une chance d’aller dans le trou, de disparaître, et qu’on n’entende plus parler d’eux, jamais, de toute façon ils n’étaient pas la fierté de leur famille, en plus ils s’étaient toujours débrouillés pour faire les déracinés, sur un si petit territoire, je vous le demande ! De petits grincements dans les rouages forts et huilés de la grande organisation, celle des pères et des fils et des mères et des filles.
On les avait virés à plusieurs reprises, au bord du chemin, ou sur le pas de la porte, lors d’un rituel composite : une suite codifiée de rites piochant effrontément dans le domaine social, privé, profane et sacré. Ils partaient bien sûr, mais trop insolents pour être honnêtes, ils nous défiaient : Pas cap ! pas cap d’inventer d’autres histoires que vos « rêveries » inhumaines, les féériques et les monstrueuses confondues, nées de vos cerveaux juste humains ! Ces motifs sont froids maintenant, on n’est plus au siècle de Lucien, ni même dans les fresques du XIV ° siècle, le public doit faire preuve de trop de bonne volonté !
Nous : Ces motifs sont plus vivants qu’on ne croit, il faut jeter au sol toutes ces croyances infâmes : l’aventure de soi ne peut être poursuivie qu’à ce prix ! Nous refusons d’avoir à nous défendre de mettre en scène in fine, une orgie de l’ego et de la complaisance… Nous ne prêtons pas nos noms à des doubles fictifs, nous renommons nos êtres essentiels en marche…On peut être ennemis des impostures et travailler l’irrationnel, la superstition, le surnaturel…
Eux : Des boniments ! On s’tire !
Nous : Mais c’est vrai ! Nous sommes devenus des « démoniques » : un espace imaginaire avec en guise de médiation folklore ou mythologie de l’étrange, où les artistes, seuls, vont tenter de forcer les portes d’un monde interdit…
Eux : On voit, une de ces constructions de légende, de personnages héroïques à admirer, … Nous, ces narrateurs-là, ils nous donnent plutôt envie de rire, ils nous font subodorer leurs non-pouvoirs, leur pathétique envie de s’émanciper, de se sortir de là, car ils sont faits comme des rats, et ils simulent un combat !
Nous : Mais c’est l’engagement de l’artiste : c’est lui encore qui doit s’y coller, mentir peut-être, mais faire croire et croire (ce qui donne l’élan) : le paradoxe du menteur ! La magie des choses, la transmutation des objets et des situations !
La Spesa : Tu as vu le capitonnage de notre cercueil ? Tellement glamour finalement.
Maurin : J’ai du mal à en juger, il fait très noir ici.