Petite métaphysique empaillée
Avec quelques sculptures animalières, empaillées et néanmoins parlantes, Maurin et La Spesa investissent l’Espace Vallès. Une autruche au gosier dédoublé, clou du spectacle, offre au public le vertige possible d’une pensée pratique : tout ce qui nous reste en travers de la gorge, l’art peut-il l’évacuer ? Et si oui, comment ?
Maurin et La Spesa. Comme on dirait Tintin et Milou ou Gilbert et Georges… En l’occurrence
un homme et une femme, deux inséparables, un nom compacté, une mythologie en marche.
Depuis quelques années, Maurin et La Spesa ont hissé leurs patronymes accolés au rang de signature infalsifiable, voire de marque, n’hésitant pas à arborer à l’occasion un logo “M&LS“ assez pimpant. Au sein de cette multinationale bicéphale -à l’image de son autruche naturalisée- il est difficile de discerner qui fait quoi, qui décide, qui a le dernier mot. Modeler, peindre, parler, filmer… Il est sûr en revanche que M&LS produit une gamme d’objets de consommation esthétique étendue, et paie de sa personne, se mettant en scène à l’occasion dans une autofiction parfois acrobatique. Il est établi également que le duo aime la langue, ses jeux subtils, et se réfère à ceux qui l’honorent, aux écrivains, aux philosophes, Socrate, Rabelais, Shakespeare, excusez du peu. Il est constant enfin que M&LS pratique l’humour comme une sorte d’éthique allégée. Au début « par modestie », pirouette polie de ceux qui n’ont ni réseau ni « assurance de diplômés ». Ne pas se prendre trop au sérieux, ce qui ne veut pas dire n’avoir rien à dire. Ni se défendre de lorgner du côté des artistes, des mouvements, de l’iconolâtrie contemporaine, de l’institution, et d’y poser l’air de rien son regard critique. Mais chez M&LS le coup d’œil vire très vite au clin d’œil, histoire de ne pas s’appesantir. Viallat a son haricot, ils auront leur patate verte*. Quant à l’autruche de Maurizio Cattelan, ils lui sortent crânement la tête du sol et lui tressent un double cou, déplaçant le nœud du problème. Le nœud, parlons-en. Plus qu’une croisée ou un carrefour : un giratoire conceptuel, « un tuyau dans lequel passeront de multiples réalités naturelles ou culturelles, avalées ou vomies, absorbées ou régurgitées ». Tout ce qui bouche, obstrue, gêne le souffle, ce qu’il nous faut avaler, ce qui ne passe pas… Cette autruche en a donc vu passer, et a des choses à dire, sans doute peut-elle aider symboliquement à un formidable raclement de gorge, histoire d’évacuer les humeurs noires. Fort de son précédent combat contre la gravité**, M&LS est aujourd’hui en croisade drolatique contre la mélancolie. Une métaphysique empaillée que le père de Gargantua n’eût pas désavouée.
Danielle Maurel, septembre 2012