maurin_et_la_spesa

les oeuvres sont en réserve

Dead Man Walking juin 18, 2010

photographie Emmanuel Chastang

Dead Man Walking – (La dernière marche)

Exposition dans le cadre de « Casanova Forever »

« Maurin et La Spesa expriment sur le ton de l’humour noir, une certaine « fatigue d’exister » dans le travail et l’effort qui caractérise leur pratique artistique et leur engagement pour l’art en général, symbolisée par la panne de leur propre corbillard et l’effort ultime qu’ils ont encore à produire pour le pousser jusqu’au cimetière… et assumer leur propre mise au tombeau. En ce qui concerne la passivité où l’on est (paraît-il) quand on est mort, apparemment ici la mort de M&LS n’aura été qu’une simple panne de conscience (la participation des autres à leur disparition est signalée par les habits conventionnels tout à fait inhabituels chez eux dont ils sont recouverts), et puis les « choses à faire » ont ressurgi, plus le temps de penser alors à se laisser aller à l’horizontale… Il faut agir. »
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Musée archéologique > Palais des Archevêques
Du 26.06 au 14.07, tous les jours sauf le mardi, de 10 h à 12 h et de 14 h à 17 h / du 15.07 au 30.09, tous les jours de 10 h à 13 h et de 14 h 30 à 18 h 30 / du 01.10 au 03.10, tous les jours sauf le mardi, de 14 h à 17 h. Espaces non accessibles aux PMR.

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Renseignements :

Musée archéologique > Palais des Archevêques – 11100 Narbonne
T : 04 68 90 30 54

Fonds régional d’art contemporain Languedoc-Roussillon
4 rue Rambaud
34000 Montpellier
Tel : 04 99 74 20 35
Fax : 04 99 74 00 49

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photographie Emmanuel Chastang

Fiche pédagogique
Dead Man Walking (La dernière marche)

Auto représentation funèbre[1] (autoportraits)[2] de Maurin et La Spesa, tirant et poussant[3] un corbillard[4] à cheval en bois peint[5], surmonté de 2 corbeaux naturalisés[6]. Le cercueil pour deux[7] contenu dans le véhicule est ouvert et déserté, laissant voir la couche « nuptiale » aux draps et petits coussins soyeux portant encore l’empreinte des têtes des artistes. Le titre de cette sculpture fait référence au western rauque Dead Man[8] pour son voyage initiatique vers la mort abordée d’une manière iconoclaste et ironique, et pour ses fondus au noir. Il s’agit ici d’un rituel de mort à soi-même, d’ensevelir symboliquement les choses figées et non vivantes de nous-mêmes, nos êtres sociaux par exemple ou partie de notre héritage culturel, pour en inventer (enfin) de nouvelles.

Dans le suspense généré par la vision de l’installation, les questions affluent : Où est passé le cheval ? Pourquoi n’y a-t-il plus personne ? Comment vont-ils se sortir de cette galère ? La mort est-elle vraiment le repos qu’on nous promet ? Quand est-ce qu’on mange ? Et surtout quand est-ce qu’on boit ?


[1]Au musée des Offices de Florence se trouve la plus grande collection au monde d’autoportraits et de portraits de peintres. Le catalogue général répertoriait pour la première fois en 1979 l’ensemble de cette collection, ce qui signifie 987 peintures et 15 sculptures. Selon les documents d’époque qui accompagnent ces oeuvres, il semble que la première cause de tout autoportrait, ancien ou moderne, soit un défi au temps qui passe, un défi à la mort.

[2]L’autoportrait fait partie de la pratique artistique de M&LS d’une manière importante et témoigne de leur engagement total dans leur recherche et leur expression, dans l’esprit de la sculpture de soi.

[3] Le couple formé par M&LS est source d’inspiration pour les artistes : ils travaillent sur le jeu de la représentation populaire homme-femme et son détournement… On dit « concession » pour l’achat du terrain, et le même mot pour les compromis que les personnes font pour pouvoir vivre en couple.

[4] Dans la lignée des véhicules, celui-ci vient après une Jaguar pour « Des anges », une installation de 2009 ; ce que « véhicule » une cérémonie ; grand et petit véhicule (bouddhisme) ; pousser (rouler) les choses vers la caricature et le rire. Le corbillard hippomobile dégage une aura d’atemporalité et de tragi-comédie.

[5] La vétusté du « petit véhicule » outre sa plasticité manifeste, fait référence à l’archaïsme des images de la mort encore en vogue aujourd’hui, et aux notions de retour à l’essentiel (les personnages fabriqués dans une pratique modeste de moulages en Plâtre de Paris et la décoration faite main) ; une manière populaire d’accompagner ses morts, qui a perduré dans les villages, avec un rapport au rural (le cheval) et au corps (perdu dans l’aménagement moderne de la mort en hôpital), dans un monde plus en phase avec la réalité humaine, et de fait plus près des évènements de nos vies.

[6] Corbeaux, volatiles de mauvaise augure dans l’imagerie populaire, empaillés comme on dit encore chez les anciens et les profanes… Ce sont d’autres corvidés, ici des corneilles, qui sont représentés dans notre région autour de la mort, et non pas le « grand corbeau », espèce protégée par un arrêté du avril 1981 dans le cadre de la loi sur la Protection de la nature.

[7] Le cercueil pour deux n’entre pas dans le cadre de la législation française, il reste un cas d’école pour série noire de cinéma ; celui de Maurin et La Spesa a été fabriqué par les Pompes Funèbres Générales sur mesure, le couple ayant bien sûr adopté une position conjugale dite « position royale » où la femme pose la tête sur l’épaule de l’homme et la moitié de son corps de profil sur le côté. La largeur du cercueil a pu ainsi s’adapter aux dimensions d’un corbillard classique.

[8] Dead Man : Réalisateur Jim Jarmusch – 1995 avec Johnny Depp et Gary Farmer – musique Neil Young

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Photographies Emmanuel Chastang

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La dernière marche mai 22, 2010


PROJET : Dead Man Walking  (La dernière marche)

Si ce projet peut faire référence aux figurations médiévales de la vanité c’est qu’on se trouve ici en affinité avec l’irrévérence et la forme comique conjuratoire …

« La verticalisation du corps vivant et son retour à l’horizontale sont donc bien une affaire où le regard de l’autre joue un rôle essentiel, car ce sont les autres qui, dans le noir sans conscience où nous serons « un jour », se chargeront d’allonger notre corps sous la terre et de nous faire disparaitre à leurs yeux. C’est sur cette différence radicale (la différence symbolique) que repose la confiance entre les êtres et le lien de l’humanité avec elle-même. » (Emmanuel Latreille – Alain Benoit-Recherche d’une statuaire-Catalogue : Tenir gros-Alain Benoit- 2008)


« Le propre de la Vanité était de constituer une méditation de caractère religieux sur la nature humaine : la Vanité contemporaine ne constitue-t-elle pas la plus juste expression d’un monde qui n’en revient pas d’être sans Dieu, un monde purement humain, livré aux forces du comique et de la dérision ? » (Catherine Grenier-La revanche des émotions-Seuil-2008)

L’installation Dead Man Walking est composée des sculptures statuaires, autoportraits plutôt réalistes de M&LS, d’un corbillard hippomobile, de deux cercueils capitonnés ouverts et de deux corbeaux naturalisés.

C’est une projection – auto représentation fictive du couple – d’un moment post-mortem, qui se joue de la dualité vie/mort, et qui transgresse les interdits et les tabous de la figuration des morts. Leurs visages seront moulés sur le réel, mais leurs colorations seront (sobrement) cadavériques.

Maurin et La Spesa exprime sur le ton de l’humour noir, une certaine « fatigue d’exister » dans le travail et l’effort qui caractérise leur pratique artistique et leur engagement pour l’art en général, symbolisée par la panne de leur propre corbillard et l’effort ultime qu’il ont encore à produire pour le pousser jusqu’au cimetière… et assumer leur propre mise au tombeau.

En ce qui concerne la passivité où l’on est (paraît-il) quand on est mort, apparemment ici la mort de M&LS n’aura été qu’une simple panne de conscience, (la participation des autres à leur disparition est signalée par les habits conventionnels tout à fait inhabituels chez eux  dont ils sont vêtus) et puis les « choses à faire » ont ressurgi, plus le temps de penser alors à se laisser aller à l’horizontale… Il faut agir : Papa tire et maman pousse ! (chanson « papa pique et maman coud »)

La vétusté du « petit véhicule » outre sa référence légère au bouddhisme occidental et sa plasticité manifeste, fait référence à l’archaïsme des images de la mort encore en vogue aujourd’hui, et aux notions de retour à l’essentiel (fabrication de la « caisse en bois », décoration minimale et pourtant soignée, efficace : les peintures noires avec un filet d’argent, les festons, le capitonnage, les textiles, etc.) qui font penser à la manière populaire d’accompagner ses morts, manière qui a perduré dans les villages, avec un rapport au rural (le cheval) et à la familiarité avec ses choses (perdues dans l’aménagement moderne des morts en hôpital, les morgues, les emballements en sacs plastiques, etc.) dans un monde plus en phase avec la réalité des relations et des corps, et du coup plus près des évènements de nos vies.

Pour Maurin et La Spesa, particulièrement, cet aspect du « fait-main » et « fait humain » est partie intégrante de leur propos, car ils pensent (et le prouvent) que toute évolution, tout travail artistique recherchant des nouvelles images, demandent de s’y atteler entièrement et de toute son énergie…

Ce projet est à ce titre deleuzien dans le sens où « trop de gens veulent être bordés » : un appel à la conscience élargie, à la volonté d’agir en travaillant vers cet objectif, à la production d’imaginaire et de désirs de l’être pour lui-même (pour se transformer lui-même) : Borde-toi donc toi-même ! Pourquoi pas « Enterre-toi donc toi-même ! »

«  Comme on fait son lit on se couche, personne ne viendra vous border, trop de gens veulent être bordés (…) Il faut faire (passer) son chemin – voir encore le désir qui construit l’espace d’une réalisation possible… » Gilles Deleuze dans « Dialogues »

Sisyphe, prolétaire des dieux, impuissant et révolté, connaît toute l’étendue de sa misérable condition. « La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux. Toute la joie silencieuse de Sisyphe est là. Son destin lui appartient. Son rocher est sa chose. » (« le mythe de Sisyphe » – Albert Camus)

Outre le geste d’une production esthétique bravache et quasiment burlesque, ce projet est une expression métaphorique des angoisses et du désespoir des artistes : à la fois cette fatigue occasionnée par le poids du travail quotidien et les progrès toujours trop lents à leur goût sur leur nature humaine et ses atavismes (comme il est ardu de changer quelque chose à sa propre nature, quand va-t-on pouvoir se reposer, etc. ?), et la mise en scène, comique et grotesque (l’endroit de la vanité) où sont représentés la non-résolution des aspects religieux ou athées de la vie après la mort…